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Perception de la laïcité à la française par les étrangers

Outre les réactions suscitées suite au discours sur les séparatismes d’Emmanuel Macron, la laïcité à la française a souvent été mal comprise à l’étranger. Que ce soit par les pays où l’islam est une religion d’État ou par les démocraties occidentales. Dès lors, on peut se demander comment est perçue la laïcité française à l’étranger.

Il est tout d’abord important de rappeler que la conception de la laïcité française est une exception dans le monde. Elle est le fruit de l’histoire politique de la France, une histoire assez méconnue par les pays étrangers. Dès 1789, la révolution française met fin à la monarchie de droit divin qui faisait du catholicisme la religion d’État. Ce fut la première étape de la laïcisation en France. Avec Napoléon s’ouvre ensuite la période du concordat signé en 1801 avec le pape. C’est un traité qui fixe les relations entre l’État français et le Saint-Siège. Par ce traité, l’Église ne retrouve pas son statut d’église officielle d’avant la Révolution. Elle est « l’Église de la majorité des français ». Sous la IIIème République, c’est toute la société qui se laïcise : abrogation de l’interdiction du travail le dimanche, suppression des prières à l’ouverture des sessions parlementaires, retrait des crucifix dans les écoles publiques et les tribunaux. En 1904, les relations diplomatiques entre la France et le Vatican sont rompues jusqu’à aboutir à la loi de 1905 instituant la séparation des églises et de l’État, rompant ainsi avec le concordat.

Outre la méconnaissance de l’histoire française, l’incompréhension de la laïcité en dehors de la France repose également sur les différentes conceptions de la laïcité.

Tout d’abord, les personnes non francophones ne peuvent pas comprendre ce terme tout simplement parce que ce terme est intraduisible : le mot laïcité n’existe pas dans d’autres langues. En Angleterre, laïcité est désigné par l’expression « the laïcité », sous-entendu à la française. La laïcité étant intraduisible, les pays étrangers associent cette notion à la sécularisation, à la liberté religieuse où à l’athéisme alors qu’elle relève d’une séparation entre l’Église et l’État. Reposant sur la souveraineté du peuple, la laïcité à la française entend rassembler les citoyens sur ce qu’ils ont de commun : les institutions de la République.

Au sein des pays qui revendiquent le principe de la laïcité, il est avant tout considéré comme une garantie pour tous les citoyens que l’État et le pouvoir politique ne peuvent en aucun cas interdire l’exercice de leur religion. En Allemagne par exemple, il n’y a pas de religion officielle, mais les institutions religieuses coopèrent avec l’État et peuvent prélever un impôt auprès de leurs fidèles par l’intermédiaire de l’État. Aux États-Unis, État et religion sont officiellement séparés mais la pratique politique fait de nombreuses références à la religion chrétienne. La plupart des états occidentaux qui revendiquent le principe de la laïcité instaure la séparation de l’Église et de l’État.

Reprenons l’exemple de l’Allemagne. L’enseignement du fait religieux, en France, se déroule majoritairement durant l’enseignement d’histoire alors qu’en Allemagne, dans la majorité des Länder, la religion fait l’objet d’un enseignement spécifique. Il peut être confessionnel ou de type « culture religieuse ». En tant que français, nous pourrions considérer que l’Allemagne n’applique pas la laïcité dans la sphère publique dans la mesure où la religion y prend une place. A l’inverse, les allemands pourraient s’interroger sur l’ignorance des français en culture religieuse. Barbara Wesel, journaliste à Deutsche Welle, affirme que

« le sécularisme rigide de l’État français, où la religion est complètement exclue de la sphère publique, a contribué à rendre le débat conflictuel »[1].

Si la conception de la laïcité est mal comprise dans les pays dits occidentaux, il semble assez difficile que celle-ci soit comprise dans les pays culturellement plus éloignés. La laïcité à la française est souvent qualifiée « d’islamophobie » par des journalistes et analystes étrangers, notamment en ce qui concerne les décisions et discours du gouvernement français. Pour des pays comme le Maroc, la Tunisie, la Libye ou l’Égypte, la laïcité désigne en général la reconnaissance de toutes les confessions religieuses au sein d’un territoire. Toutefois, n’étant pas construit autour de la neutralité de l’État, la religion intervient très souvent dans les institutions politiques. Elles peuvent même parfois participer à la stabilité d’un état dans leur volonté de représenter toutes les religions dans le monde politique.  La laïcité à la française est ainsi difficilement perçue à l’étranger d’une part, parce qu’elle est intraduisible mais également parce qu’elle relève de multiples conceptions de la société, de la religion et du rôle de la politique. Ces différentes facettes de la laïcité à travers le monde sont parfois contradictoires, mais garantissent à chaque individu la liberté de croire ou de ne pas croire.

Marie Rousset


[1] Cf l’émission de France Culture « Le tour du monde des idées », 05/11/2020 : https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/notre-laicite-est-mal-comprise-et-mal-vue